SARAH
Mercredi 13 septembre 2023 – 13h30 – Quartier Île de Thau
J’ai passé la matinée avec Sarah. Moi à vélo, elle en scooter. Moi avec mon appareil photo, elle avec des centaines de lettres à poster et de colis à déposer. Sarah est factrice. Depuis 9 ans maintenant elle arpente les rues et trottoirs du quartier et apporte aux habitant·es son lot de lettres, cartes, factures… des nouvelles, parfois bonnes, parfois moins. Ces trottoirs, elle les parcourt à vitesse grand V. J’ai du mal à la suivre dans le dédale de plots en ciment destinés à freiner les deux-roues et qui poussent ici plus vite que les algues dans le canal. Entre ces plots, elle slalome les yeux fermés.
Entre deux entrées d’immeuble, elle me confie que petite, elle jouait à distribuer le courrier avec des cartes à jouer. Ca fait 24 ans maintenant qu’elle répète toujours les mêmes gestes : accélérer, freiner, descendre, trier, sonner, entrer, discuter. Parfois, quand l’interphone ne répond pas, elle trouve dans son téléphone un numéro direct.
Elle l’aime d’amour, ce quartier. Bien plus que tous ceux, plus aisés, dans lesquels elle a officié. Chaque bloc est un monde que Sarah traverse comme chez elle. Ici, tout le monde la connaît. Jusqu’aux ouvriers du garage automobile, ces drôles de frangins d’adoption à la gueule aussi grande que le sourire, chez qui elle s’arrête régulièrement et se fait offrir le café.
Ce métier est pour elle une vocation. Après quelques minutes seulement à la suivre, je comprends pourquoi. Derrière cette répétition infinie de gestes se cache le cœur de son travail : rencontrer, discuter, rire, rassurer. Car, pour certains, la visite du facteur est l’unique visite de la journée. Pour d’autres, elle est un moment de détente où les histoires se partagent. On prend des nouvelles d’un mari malade, on regarde grandir les enfants, on découvre un nouveau-né. Sarah est le lien. Et dans ce quartier plein de vie, elle est à sa place.
HISTOIRES DE QUARTIER
Depuis le mois d’avril, je parcours deux quartiers à la rencontre de leurs habitants. Appareil photo et enregistreur en main, je récolte les histoires individuelles et collectives, autant de trajectoires qui font de ces endroits des lieux singuliers et vivants. Cette matière se retrouve en filigrane dans le spectacle « Les Munjettes ». À travers cette proposition photographique, je souhaite apporter un complément. Replacer une partie des personnes que vous avez vues sur scène dans leur quotidien : le quartier. Vous donner, à travers le récit de notre rencontre, l’envie de les découvrir hors du temps de la scène. Sur chaque table, l’histoire d’une rencontre. Les petites séries présentées ici ne sont pas des objets finis. À la manière d’un album de famille, nous vous invitons à les parcourir dans le sens qui sera le vôtre, comme des tranches de vie, des débuts d’histoires à venir. Le temps de la rencontre est un temps long. La suite reste à écrire…